Peindre ou écrire ? Écrire en peignant ou peindre en écrivant ? Bernadette Duchoud manie alternativement le pinceau et la plume, tantôt couvrant la toile de formes et de couleurs montées de ses profondeurs, et tantôt couchant sur la page les mots qui se bousculent en elle.
Elle triture les mots comme elle triture pâtes et couleurs. Mais souvent aussi, elle fait les deux à la fois, mimant en peignant la pulsion graphologique, enchevêtrant les signes d'un foisonnement scripturaire où seuls affleurent ici ou là, comme remontant des eaux profondes après un naufrage, un mot décousu, un lambeau de phrase ou un morceau de papier imprimé ou griffonné ; message sibyllin, balloté par les flots calligraphiques déchaînés comme une bouteille à la mer.
La valaisanne fait partie de la famille plus ou moins lâche de ce qu'on pourrait appeler les « peintres-écriveurs ». De ceux qui, comme Twombly, Penck ou Voss font de leurs toiles d'étranges pages d’écriture dont l’alphabet et le vocabulaire, la grammaire et la ponctuation, les pleins et les déliés échappent à tous les dictionnaires et sont rédigés dans une langue de poésie individuelle. Le geste puise aux pulsions profondes, mime le griffonnement obstiné de l'écriture, trempe dans l'encrier de la mémoire et de fantasmes, et n'en finit pas de chercher les mots tout en les fuyant, de les appeler en craignant d’affronter leur nudité ou leur brutalité.
Est-ce pas affinité élective avec l'écriture, mais le papier reçoit mieux que la toile l'effervescence échevelée des confidences. Il en ressort labouré, meurtri parfois épuisé avec des manques d'arrachement et de blessures magnifiques. Il prend des allures de palimpsestes infiniment réécrit ; de poème gribouillé et raturé mille fois ; d'éternel brouillon pour tenter de déchiffrer le monde en soi ; des pages d'écriture automatique qui accorderait ses rythmes heurtés et ses élans véhéments aux turbulences et aux violences intérieures.
De haut et de bas, de droite et de gauche, il n'en est plus question. Dans les rafales violentes des traits, dans le déferlement griffu des couleurs, la lecture fait naufrage. Il n'y a plus de point d'appui.